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“On ne gagne pas une course en restant dans le peloton”

“J’étais le 27e collaborateur”, se souvient Dirk Coorevits lorsqu’il évoque le début de sa carrière chez Soudal en 1981. Plus de 40 ans plus tard, il dirige l’entreprise qui compte aujourd’hui 4.000 employés, est active dans 140 pays et continue de se développer, y compris en période de crise. Le groupe met actuellement la dernière main à la construction d’une usine hypermoderne: “Plant 5 est l’usine du futur. Elle sera le fer de lance des ambitions mondiales de Soudal en matière de durabilité.”

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“Je vais probablement vous décevoir: mon CV n’est pas vraiment impressionnant, Soudal est la seule entreprise pour laquelle j’ai travaillé”, confie Dirk Coorevits (63 ans) en souriant lorsque nous le rencontrons au siège social de Soudal Group, à Turnhout. Il avait 21 ans lorsqu’il a commencé à travailler au département Export de ce spécialiste des mastics pour joints, des colles et des mousses polyuréthanes, via le service de placement de l’UFSIA, où il a obtenu son diplôme en sciences économiques appliquées. Dirk Coorevits s’est rapidement imposé en tant que bras droit et assistant opérationnel du fondateur, Vic Swerts, qui a nommé son poulain au poste de CEO en 1998.

Peloton

Soudal a franchi le cap du milliard d’euros de chiffre d’affaires fin 2021. Et l’entreprise est parvenue à poursuivre sa croissance durant la crise de 2022. “Nous sommes actifs sur le marché des produits d’isolation. Alors que les prix de l’énergie flambent, nos produits permettent d’économiser de l’énergie et de l’argent.” Selon Dirk Coorevits, l’impact le plus important de la crise énergétique sur le secteur de la construction est encore à venir. “On compte actuellement moins de faillites dans le secteur de la construction qu’avant la pandémie de coronavirus parce que le secteur a bénéficié du soutien des pouvoirs publics. En outre, nos produits sont le plus souvent utilisés à la fin du processus de construction. Même si je m’attends malgré tout à ce que des chantiers de construction soient mis à l’arrêt et que les particuliers reportent certains projets, les choses devraient rapidement revenir à la normale, comme ce fut le cas à la fin de la pandémie.”

“Nous sommes une entreprise à forte intensité énergétique mais nous ne paniquons pas pour autant. Nous n’avons jamais délocalisé la moindre activité et nous ne comptons rien changer à cette stratégie. Par ailleurs, il faut 10 ans pour qu’une usine soit opérationnelle dans un autre pays. À quels défis serons-nous alors confrontés? De plus, nos marchés de croissance en Amérique et en Asie ont été moins touchés par la crise énergétique. Comme toujours, nous allons gérer la crise et survivre. Quand tout va bien, on a tendance à penser que cela continuera ainsi, alors qu’il faut se préparer à des temps moins favorables. Et inversement, lorsque tout le monde est convaincu que les choses vont mal, vous devez anticiper l’éclaircie.” Cela explique la vision contracyclique de Soudal. “Ce n’est pas en étant un suiveur et en restant dans le peloton qu’on gagne une course.”

Innovation

“L’innovation est inhérente à l’esprit d’entreprise. Si vous n’innovez pas, vous vous retrouvez tôt ou tard éjecté de la course.”

Pour trouver les bonnes personnes et creuser l’écart avec la concurrence, Soudal s’est jetée dans la guerre des talents. Ceci étant dit, l’entreprise n’a pas à se plaindre, estime Dirk Coorevits. “Ici, au siège, nous décidons de tout et investissons massivement. Les gens préfèrent travailler dans un centre d’excellence comme le nôtre, avec une ambiance familiale, que dans une multinationale qui peut changer d’avis et tout effacer d’un coup de gomme.”

L’image positive de Soudal est renforcée par sa pratique du sponsoring sportif. En 2011, l’entreprise s’est engagée en tant que sponsor du club de football de Westerlo. Quelques années plus tard, Soudal a sponsorisé plusieurs courses de cyclocross, rassemblées sous l’appellation “Soudal Classics”. Depuis 2015, l’équipe Lotto-Soudal porte les couleurs de l’entreprise dans les courses cyclistes internationales. Et dès cette année, Soudal sera le sponsor officiel des équipes cyclistes féminine et masculine Soudal-Quick-Step. “En plus des meilleurs coureurs, cette équipe dispose de cartes plus internationales dans son jeu. Nous jouissons de cette façon d’une plus grande visibilité, ce qui est important au vu de nos ambitions de croissance mondiale.”

La recherche et le développement de nouveaux produits et méthodes de production sont inscrits dans l’ADN de Soudal. “Tout le monde – et pas uniquement les ingénieurs et les techniciens – est encouragé à apporter des idées. Ici, l’innovation est l’affaire de tous.” La durabilité est le fil rouge du développement de Soudal. “Comme ils offrent une solution pour rendre les bâtiments peu énergivores, nos produits sont très demandés. Mais il ne faut pas oublier qu’ils sont le fruit de plus de 20 années de développement. Nous n’avons pas attendu la crise énergétique pour nous retrousser les manches!” Dirk Coorevits en insiste au passage sur la stratégie à long terme de son entreprise. “En Allemagne, cela fait plus de 30 ans que nous travaillons avec une usine qui extrait le polyuréthane et le recycle à hauteur de 98%. Nous évoluons vers une circularité totale. Nous continuons à investir dans notre gamme de produits, y compris en période de crise, afin d’améliorer encore nos résultats.”

Les produits Soudal permettent au secteur de la construction d’envisager de nouvelles méthodes de travail. Il est par exemple possible de fixer les panneaux isolants aux murs avec du mortier, mais aussi de les coller au moyen d’une mousse polyuréthane. C’est plus rapide et, grâce à l’élimination des ponts thermiques, les bilans énergétiques s’améliorent. “L’innovation est infinie, sinon nous habiterions encore dans des cavernes. Elle est inhérente à l’esprit d’entreprise. Si vous n’innovez pas, vous vous retrouvez tôt ou tard éjecté de la course!”

Usine du futur

“Plus vous grandissez, plus vous avez besoin de données pour poursuivre votre croissance.”

Soudal bâtit plusieurs usines dans le monde entier afin d’accroître sa production et sa capacité de stockage. Sa figure de proue? Une usine hypermoderne en cours de construction à côté de son siège social à Turnhout. “Plant 5 est l’usine du futur: il sera possible d’y mélanger de grandes quantités de mastic et de les emballer de manière entièrement automatique, ce qui réduira les déchets et la consommation énergétique”, souligne fièrement Dirk Coorevits, qui précise que ces travaux sont nécessaires pour assurer la croissance du groupe. “Nous nous situons simultanément dans plusieurs phases de croissance. En Belgique, nous sommes profondément ancrés sur le marché; dans d’autres pays, nous devons encore nous battre pour nous assurer une part de marché. Nous avons sans aucun doute du pain sur la planche pour les 100 prochaines années.”

La croissance apporte son lot de défis, constate le CEO. En tête de liste: le personnel. “Il n’est pas simple d’aligner l’ensemble de nos collaborateurs dans tous les pays où nous sommes présents. Nous voulons harmoniser certaines choses tout en respectant les caractéristiques de chaque filiale. Les normes et la façon de vivre et de se loger varient selon le pays. Il ne faut pas aller très loin pour s’en convaincre, d’ailleurs. En Belgique, nous commençons par construire un mur, puis nous faisons un trou pour la fenêtre, alors qu’aux Pays-Bas, ils commencent par la fenêtre et placent des briques autour. Heureusement, nous sommes flexibles. Un de nos mots-clés est agility. On peut comparer cela à la vente de voitures en Angleterre. Un constructeur qui ne s’adapte pas et qui ne place pas le volant du bon côté n’a pas d’autre option que de mettre la clé sous la porte.”

 

Avancer, tout simplement

Heureusement, la technologie est là pour encourager la collaboration entre les personnes et les pays. Plus de la moitié des filiales de Soudal travaillent avec SAP. “Au siège principal, nous savons chaque jour ce qui est commandé, vendu et facturé dans chacune de nos implantations. Auparavant, nous travaillions avec des cartes et des fiches, puis nous sommes passés aux fichiers Excel… J’ai connu toute cette évolution, car cela fait longtemps que je travaille ici. Nous y arrivions, certes, mais il est nettement plus facile, désormais, de réaliser des analyses et d’extraire des informations utiles. Plus vous grandissez, plus vous avez besoin de données pour poursuivre votre croissance. Et la technologie ne cesse d’évoluer. C’est pourquoi il est crucial d’avoir à nos côtés un partenaire comme Deloitte pour nous guider à travers les méandres de la technologie.”

Aux yeux de Dirk Coorevits, l’informatique et les données sont indispensables à la croissance de son entreprise. “Les data sont essentielles pour évoluer vers l’industrie 4.0, où l’automatisation et la robotisation occupent une place centrale.” Et ce, même si les outils numériques ne remplaceront jamais les contacts humains. “Vous ne pouvez collaborer efficacement que si vous pouvez regarder votre interlocuteur dans les yeux. Donc oui, nous demandons aux collaborateurs des autres pays de venir ici pour présenter leurs budgets et de rester la nuit. Ils sont toujours bien reçus, je n’ai jamais entendu personne se plaindre.” Avec la technologie, il n’est pas possible de transmettre la culture d’une entreprise, observe Dirk Coorevits, qui a décroché le titre de Manager de l’année 2020. “Je fais régulièrement le tour du bâtiment. Je parle avec les collaborateurs, je les écoute. Je suis convaincu que c’est la seule façon d’arriver à ce que tout le monde adhère à nos valeurs et à nos ambitions. En plus d’être le CEO, je suis également – et c’est encore plus important – People Manager!”

Après toutes ces années en Campine, ce natif de Waregem a conservé le sens des réalités, souvent associé à la Flandre-Occidentale. “Je garde les deux pieds sur terre, c’est génétique. Mon bon sens ne m’a jamais abandonné. Je travaille ici depuis si longtemps que, je dois l’avouer, je connais beaucoup de choses et je peux aisément établir des liens et relever des défis. Je trouve par ailleurs que la Campine a un grand nombre de points communs avec la Flandre-Occidentale en termes de mentalité. Nous ne sommes pas fans de grands discours. Travailler et faire ses preuves, telle est notre devise. Il suffit d’avancer, tout simplement. Nous le faisons depuis plus de 50 ans et nous sommes loin d’avoir terminé.”

 

Cet article a été publié par L’Echo le 14 février 2023.