L’industrie électronique française a de nombreux atouts en main pour surfer sur la vague de l’IoT. A condition de se transformer et de privilégier l’intérêt de la filière française et européenne sur les petits enjeux régionaux ou concurrentiels, estime Vincent BEDOUIN, le président du cluster des industriels de l’électronique du grand ouest (WE Network).
« Pour sa 22ème édition, le World Electronics Forum (WEF), sorte de Davos de l’électronique mondiale, a pris ses quartiers à Angers, du 24 au 28 octobre. Ce choix de la France, alors que le WEF n’avait jusqu’alors posé ses valises qu’une seule fois en Europe, illustre bien le regain d’intérêt pour notre pays qu’a su impulser la French Tech. Cette édition du Forum permet de tordre le cou à une idée reçue, qui voudrait qu’il n’y ait plus d’industrie électronique en Europe, sauf en Allemagne. Car la France, même si elle n’est plus ce producteur de premier plan de téléphones portables qu’elle fût dans les années 90, compte deux pôles majeurs en la matière, le premier en Rhône-Alpes, spécialisé dans les composants (semi-conducteurs), le second dans l’ouest de la France, axé sur l’assemblage électronique. Et l’Hexagone devance même l’Allemagne en matière de sous-traitance électronique.
Mettre en lumière cette industrie à ce moment de l’évolution de nos économies s’avère crucial, car l’électronique est en réalité le socle industriel de la transformation numérique. Le monde se digitalise grâce aux capteurs et objets communicants, donc aux composants qu’ils embarquent. On parle ici d’une vague qui devrait être plus haute que celle des télécoms dans les années 90. Car l’IoT est en train de se diffuser dans tous les secteurs : industrie manufacturière, ville, santé, agriculture, transports,… pour développer des nouveaux usages et solutions face aux contraintes environnementales, économiques et sociales.
Risque d’exode de nos savoir-faire
Aujourd’hui, le Vieux Continent reste leader de cette électronique invisible, utilisée pour des usages professionnels. Mais, si les croissances de 20 à 50 % d’ici à 2020 annoncées par les analystes se confirment, on ne pourra plus se cantonner à une logique de marchés de niche, logique qui prévaut jusqu’à aujourd’hui en Europe. Car les industriels américains et asiatiques, déjà leaders de l’électronique grand public, ne vont pas manquer de se positionner sur ce créneau porteur. Si l’Europe rate sa transition vers l’industrie électronique du futur, c’est tout notre savoir-faire qui risque de s’envoler. Un exode qui mettrait aussi en péril toute notre industrie, car l’intégration de fonctions électroniques intelligentes dans les produits touche aujourd’hui tous les secteurs, du fabricant de fenêtres au constructeur de tracteurs, et permet aux industriels de se repositionner via des modèles économiques nouveaux, basés sur la donnée. Que les acteurs européens loupent ce virage, et le risque est grand de les voir relégués à un rôle de fournisseurs de produits de commodité… ou de les voir disparaitre.
Si l’attentisme n’est pas une option, nous devons prendre en compte l’absence d’acteurs de taille critique en Europe vis-à-vis des concurrents américains ou asiatiques, un constat qui doit nous pousser à favoriser le travail en collaboration et la mutualisation des investissements. Or, c’est précisément un des points forts français. Un récent travail au sein du WE Network nous a permis de recenser environ 150 projets innovants rien que dans l’électronique du grand ouest. Et, à chaque fois, on retrouvait à la naissance de ces projets la collaboration entre un industriel des usages, un ou plusieurs labos de recherche ou universités et la filière industrielle de l’électronique. Or, sur les futurs enjeux du secteur, je suis persuadé que la richesse des écosystèmes sera un facteur clef du succès. Et l’Hexagone, avec ses pôles de compétitivité et ses nombreuses start-ups, est bien armé en la matière.
Roadmaps technologiques : mutualiser les investissements
Ce travail collaboratif doit aussi aider à transformer la filière elle-même. Déjà largement automatisée, celle-ci peut désormais se concentrer sur les enjeux de l’Industrie 4.0 : la connexion des machines aux systèmes d’information et la mise en place de systèmes Big Data afin de gérer l’afflux de données. En somme, nous devons apprendre à gérer la complexité. Aujourd’hui, quand un client arrive avec une commande importante et des délais resserrés, effectuer une simulation de l’impact de cette commande sur le planning de production nous prend trop de temps par rapport aux contraintes clients. De même, produire un devis complexe nous demande à minima une semaine ; or, je suis persuadé que, demain, la norme sera de répondre en 15 minutes. Pour parvenir à ce niveau, nous devons tout interconnecter, apprendre à travailler en temps réel et simplifier la complexité pour des clients qui ne peuvent plus tous être des experts en électronique.
Tout aussi audacieux : la logique de convergence des roadmaps technologiques, qui consiste à faire travailler des concurrents entre eux. Expérimentée au sein de WE Network, via le projet Pleiade lancé il y a un peu moins de deux ans, la démarche vise à mutualiser les coûts d’adaptation de la filière à l’évolution attendue de la demande. Réuni en « consortium light », quelques acteurs industriels analysent la stratégie de grands donneurs d’ordre, puis qualifient en commun des procédés de fabrication ultra-pointus adaptés aux évolutions attendues. Eventuellement, si certains sujets restent à défricher, les acteurs impliqués cofinancent des thèses de recherche afin d’explorer des solutions envisageables. Et la démarche bénéficie de l’appui financier de la région. Ainsi, quand le besoin arrive sur le marché, l’industrie française est prête à y répondre et à faire face à la concurrence internationale. C’est cette logique, qui fonctionne bien sur les marchés en forte croissance, que nous souhaitons étendre à des sujets comme l’interopérabilité entre les machines et les systèmes d’information ou l’intégration de l’IA dans nos processus.
Une feuille de route jusqu’en 2020
Synthétisant des travaux qui ont permis d’interroger environ 150 experts du secteur, le livre blanc que nous avons publié lors du WEF, en collaboration avec les trois syndicats professionnels de l’électronique (ACSIEL, SNESE et SPDEI) et la fédération professionnelle (FIEEC), met en évidence cette nécessité de continuer à collaborer entre acteurs de la filière. Et donne une feuille de route 2020 à notre industrie.
Nous avons choisi d’y associer SAP, car son ERP, et plus globalement sa plate-forme digitale, sont appelés à jouer un rôle central dans la transformation de l’industrie électronique. Ne pas travailler avec ceux qui réfléchissent à l’évolution de cet outil à horizon 10 ans serait une hérésie. »
-Note-
* : We Network (West Electronic & Applications Network) rapproche les acteurs de la filière électronique du grand ouest et les utilisateurs de tous secteurs. Le cluster compte quelque 170 adhérents, dont Lacroix.
** : LACROIX Group : le groupe LACROIX, ETI familiale, conçoit et industrialise les équipements et technologies connectés et innovants pour permettre à ses clients de rendre le monde plus intelligent et responsable. Le groupe, dont le siège est à Saint Herblain, réalise un chiffre d’affaires de 430M€.