« Et si vous pouviez savoir si votre ADN révèle un risque de migraine, avant même d’avoir le moindre mal de tête ? ». Le Journal de la Biologie et de la Médecine de Yale prend cet exemple, parmi tant d’autres, pour illustrer la façon dont les technologies émergentes transformeront notre perception de la santé dans les années à venir.
Pourquoi cette transformation ? Le secteur des sciences de la vie connaît des changements spectaculaires et sans précédent, impactant ses activités et son marché, du fait de remarquables avancées technologiques : santé connectée, médecine personnalisée, technologies mettables pour la santé, intelligence artificielle, Internet des Objets, Machine Learning, réalité augmentée…
Dans un récent épisode du programme radio interactif sur internet Changing the Game in Life Sciences (Changer la donne dans les sciences de la vie), une série dérivée des « Coffee Break with Game-Changers » et présentée par SAP, trois experts majeurs du secteur ont évoqué l’impact des dernières innovations numériques (en matière de produits médicaux, gestion des données et soins aux patients) sur les approches du secteur des sciences de la vie pour proposer des solutions médicales efficaces, mais aussi sur les rôles et responsabilités des patients.
Aux côtés de l’animatrice Bonnie D. Graham étaient présents : Joe Miles, ancien Vice-Président monde pour les Sciences de la vie chez SAP, aujourd’hui Directeur général Sciences de la vie et Santé chez Deloitte Consulting, mais aussi Robert H. Eubanks, Directeur, unité opérationnelle MALS Sciences de la vie chez Capgemini et enfin, Hussain Mooraj, associé chez Deloitte Consulting.
Nous partageons ici quelques-unes des observations faites durant les 2 heures d’émission. Pour plus d’informations, écoutez l’émission dans son intégralité : « How the Digital Economy is Changing Life Sciences » (Comment l’économie numérique transforme les sciences de la vie).
Les informations relatives aux patients et appareils médicaux sont maintenant accessibles via les technologies intelligentes.
Joe Miles : D’un point de vue économique et technologique, nous avons maintenant la capacité d’exploiter toutes sortes d’appareils et de capteurs, qui nous offrent une réelle opportunité de gérer notre propre santé par des moyens inédits (stimulateurs cardiaques, pompes à insuline…). Ces technologies offrent aux individus l’opportunité de mieux contrôler leur propre santé, d’être plus responsables et plus prudents et, dans la plupart des cas, de renforcer leurs connaissances.
Les technologies mettables sont de plus en plus discrètes. On peut, de plus en plus, suivre ses données de santé sans que cela se voie, par exemple, grâce à l’utilisation de technologies omniprésentes telles que les téléphones portables. Nombre de ces appareils et capteurs, bien qu’au départ peu adaptés à un port régulier, s’intègrent aujourd’hui de mieux en mieux aux routines quotidiennes et se font presque oublier. Et la simplicité et la facilité d’accès associées sont des plus précieuses pour toutes les parties concernées.
« Nous sommes maintenant capables d’utiliser toute une palette d’appareils et de capteurs, pour gérer notre santé de façon totalement inédite. »
Robert Eubanks : Joe a soulevé d’excellents points : Les gens sont-ils prêts à adopter ces nouvelles approches ? Comment prendront-ils le fait de devoir partager plus largement leurs données personnelles de santé ? Il y aura sans doute un peu de réticence, car certaines inquiétudes en matière de confidentialité sont parfaitement légitimes. Mais une fois que l’on commence à comprendre la puissance des approches proposées, on accepte plus facilement de partager ses informations, car on entrevoit, au bout du compte, des résultats médicaux optimisés.
Imaginons, par exemple, que vous portiez un appareil de classe II, une bande vous permettant de suivre votre taux de glucose 24 h/24 et 7 j/7. Imaginez la puissance du dispositif si on l’associe à Siri et à l’intelligence artificielle. Vous vous réveillez le matin et vous demandez à Siri ou à Alexa : « Comment vais-je ce matin ? ». Le système vous informe alors de votre taux d’insuline et, selon ce taux, vous fait les recommandations adaptées. Le système peut également avoir accès à votre calendrier et demander si vous avez prévu de sortir et de faire de l’exercice le matin. Si vous répondez « Oui », alors le système vous demandera peut-être d’adapter votre apport nutritionnel ou votre taux d’insuline ce matin-là. De la même manière, en dehors de chez vous, avec les services de localisation activés, au moment où vous entrez dans une boulangerie, vous pouvez demander à Siri : « Comment vais-je ? ». Le système connaît votre taux de glucose et, en fonction de ce taux, si nécessaire, vous dira quoi prendre pour le repas. Une fois les avantages potentiels en matière de santé clairement perçus, les gens n’hésiteront sans doute pas longtemps avant d’adopter ces systèmes.
Hussain Mooraj : Les coûts de santé sont devenus hors de contrôle au cours des dernières décennies car nous nous sommes focalisés sur les symptômes plutôt que sur la prévention. Les technologies embarquées et les capacités de suivi à distance peuvent nous permettre de devenir bien plus proactifs et de faire de la prévention. Cela a de multiples incidences et permet de réduire le coût global de la santé, ou du moins, de freiner son accroissement, mais cela ne va pas sans certaines difficultés.
Assurer la cybersécurité des données des patients et des produits médicaux est un défi pour le secteur tout entier.
Hussain : Les innovations embarquées et les systèmes de suivi à distance sont prometteurs, mais qu’en est-il des problèmes associés, des problèmes inédits de sécurité, cybersécurité et sécurité des produits médicaux ou encore des risques de piratage de ces différents systèmes ? Le secteur dans son ensemble n’a pas encore fait le tour de la question et nous n’avons pas encore mis en place de solutions concrètes pour empêcher ces problèmes.
Joe : Je suis d’accord avec Hussain, la notion de cybersécurité mérite plus de réflexion et implique sans doute des conséquences bien plus désastreuses. Les exemples de 23andMe et d’autres entreprises ont montré que si les personnes sont susceptibles de recevoir de la valeur en échange de leurs informations et que si ces informations sont anonymisées et agrégées dans des groupes, alors ces personnes sont prêtes à renoncer à une part de confidentialité pour obtenir un bénéfice accru. Mais je suis d’accord, la cybersécurité est une véritable préoccupation et les menaces dans ce domaine ne manquent pas ces temps-ci.
Rencontrez votre double numérique : l’ADN et le séquençage du génome ouvrent la voie à une médecine de précision.
Hussain : Nous sommes maintenant capables d’un séquençage complet du génome. Nous pouvons observer nos microbes et protéines, notre métabolome, et obtenir ce qu’on pourrait appeler notre « double numérique ». Il s’agit de représenter le véritable fonctionnement de notre corps et de ce qui nous rend unique. Étant capables de voir si nous avons des prédispositions, nous pouvons mener des actions précoces pour, idéalement, limiter les maladies. Si mon double montre un risque d’hypersensibilité au sucre par exemple, alors je cours moi-même ce risque. L’idée est donc que je prenne des initiatives, de manière précoce, pour prévenir l’apparition du diabète : surveiller mon régime, faire de l’exercice… Cette capacité prédictive poussée et la capacité de prévention associée seront extrêmement précieuses pour l’écosystème de la santé tout entier.
À l’opposé, nous avons la médecine de précision : alors que nous sommes déjà malades, comment peut-on personnaliser les thérapies pour les adapter à notre profil génomique unique ? Il s’agit là de l’une des transformations majeures de la prochaine décennie pour le secteur des sciences de la vie. Aujourd’hui, nous développons des thérapies en nous basant sur une population moyenne. Nous créons des pilules et thérapies que nous pouvons, en principe, vendre au plus grand nombre. Grâce aux informations disponibles et à la capacité de traiter ces informations, nous allons commencer à concevoir des thérapies qui fonctionnent sur des populations plus restreintes.
Ce sera alors un bouleversement majeur pour le secteur. Cela favorisera par ailleurs l’émergence de nouveaux acteurs, notamment d’entreprises expertes en gestion de très gros ensembles de données. Ces bouleversements seront source de défis intéressants, mais les deux décennies à venir promettent des changements véritablement incroyables dans notre façon de concevoir notre santé et de la gérer.