Olivier Rafal, Vice-Président Digital Business Innovations, PAC – CXP Group, est co-auteur du livre blanc « Vers l’agent augmenté » réalisé pour SAP. Il revient pour nous sur les idées fortes de l’étude, qui propose une feuille de route pour mettre le numérique au service des agents du secteur public.
Où en est la transformation numérique interne des administrations ?
Olivier Rafal : La transformation du secteur public passe par plusieurs axes : il faut s’intéresser au cœur de métier des différentes structures, à leurs processus et aux outils mis à la disposition des agents. A la clef, des gains d’efficacité, mais aussi des agents plus épanouis dans leur travail. Ceux-ci sont en effet des « homo numericus » comme nous tous, qui sont désireux d’utiliser le numérique pour bien faire leur métier. Pour les collectivités et les administrations, répondre à ces attentes sera directement profitable.
Les initiatives au sein des organismes publics se multiplient, même si elles avancent encore en ordre dispersé. Nous sommes dans une phase d’accélération, au cours de laquelle on commence à s’intéresser aux agents eux-mêmes. Dans une interview récente, parue dans le magazine Acteurs publics, Nadi Bou Hanna, successeur d’Henri Verdier à la tête de la Dinsic (Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication de l’Etat), observe que celle-ci « n’a pas encore eu l’occasion de se positionner sur le cœur de métier des agents publics ». Il s’engage à porter ses efforts sur cet axe : « l’administration est une machine qu’il convient d’améliorer et de rendre plus efficace de l’intérieur et pas uniquement en façade. »
Quels sont les prérequis pour faciliter la transition numérique des administrations ?
O.R. : Les différents leviers détaillés dans l’étude (modernisation des parcours et des environnements, exploitation des données, dématérialisation et automatisation) ne sont pas forcément séquentiels : cela dépend de la nature même de chaque administration concernée. Le seul grand prérequis à mon sens, c’est l’attention accordée à l’humain. Tout comme dans le secteur privé, aucune transformation n’est possible si les collaborateurs concernés ne sont pas convaincus de son potentiel. Il faut partir des usages, du quotidien des agents, et apporter des solutions à leurs problématiques. Il faut également adresser leurs craintes en amont. Quand on aborde des sujets comme le télétravail, l’automatisation, il y a des problématiques sociologiques à prendre en compte.
Dans cette optique, comment encourager l’appétence des agents pour le numérique ?
O.R. : L’enjeu est de rendre plus concrets les gains apportés par le numérique. Si on démontre aux acteurs que l’automatisation de certaines tâches pénibles libère du temps pour faire celles qui comptent vraiment, on a fait une grande partie du chemin.
Certaines branches du secteur public se caractérisent par un fort cloisonnement, qui peut freiner la diffusion des pratiques numériques. Dans ce type de contexte, le bouche-à-oreille fonctionne bien. Si un département réalise un projet pertinent, cela peut susciter l’intérêt d’autres services.
Nous conseillons également aux administrations de développer des cellules d’innovation, portées par des « digital champions ». Ces derniers sont des collaborateurs issus des métiers, à l’aise avec les outils numériques. Ils jouent un rôle de relais entre la DSI et les différents services, en impulsant des idées et en montrant à leurs collègues ce qu’il est possible de faire.
Qui sont les porte-étendards du numérique dans les organismes publics ?
O.R. : Au sein du secteur public, les projets innovants sont plutôt portés par les directions des systèmes d’information, contrairement au privé où ce sont plutôt les directions métier, marketing notamment, ou biensûr, les directions digitales voire, les directions générales, qui sont motrices. Dans les structures publiques, les DSI sont souvent volontaires pour accompagner ces sujets, ils s’intéressent au numérique et se positionnent comme des partenaires de l’innovation. Ce sont eux qui vont montrer ce qu’on peut faire avec des données, impliquer les métiers à travers des projets de type « quick wins ».
On observe également des demandes venant des opérationnels, notamment dans les forces de l’ordre, très engagées sur le terrain, et qui ont besoin d’outils numériques pour gagner du temps.
Il subsiste un déficit de compétences autour des technologies du numérique : data sciences, intelligence artificielle… Comment peut faire le secteur public pour adresser cet enjeu, sur lequel il est en concurrence avec le privé ?
O.R. : La pression est en train de s’alléger dans certains domaines, au fur et à mesure que de nouvelles promotions sortent des écoles. Pour le secteur public, hormis le fait de travailler avec des prestataires externes, la solution est de former en masse ses collaborateurs. En interne, les administrations ont des populations qui manipulent déjà des données : des statisticiens, des ingénieurs qui peuvent facilement être formés sur les nouveaux outils.
Qu’en est-il de la collaboration avec les start-ups ? Est-ce une opportunité pour le secteur public ?
Les collaborations directes restent relativement rares, même si certaines structures sont demandeuses : le sourcing reste en effet complexe à mener. Sur ce point, les partenaires peuvent avoir un rôle très important à jouer, en se positionnant comme des animateurs d’écosystèmes.
La dématérialisation des processus se poursuit, mais cela prend du temps. Comment accélérer les choses ?
Une vraie dématérialisation de bout en bout implique la mise en place de workflows, qui nécessitent une collaboration entre différents services, voire différentes structures. Pour éviter les querelles de chapelles, il faut impérativement que ces projets soient soutenus au plus haut niveau, avec un sponsor en mesure de trancher. Au sein des collectivités locales, cela peut parfois être délicat, car il faut également prendre en compte les problématiques politiques.
Dès lors qu’il s’agit d’intégrer l’ensemble des parties prenantes, on rejoint la vision d’Henri Verdier, qui a initié une approche de type plateforme. Grâce à des API, les différents systèmes d’information peuvent enfin interagir et rendent possibles des projets cross-structures, comme le projet entre Pôle Emploi et l’AFPA, évoqué dans le livre blanc.
Avec les technologies d’Intelligence Artificielle, dont certaines sont relativement rapides à mettre en œuvre, n’y-a-t-il pas une opportunité pour le secteur public de prendre de l’avance sur certains sujets ?
O.R. : Des outils comme les chatbots sont assez simples à déployer. Les applications mises en place montrent que loin de menacer le travail des agents, ces outils les soulagent. Face aux engagements de maîtrise des dépenses de l’administration, le numérique peut être vu comme un allié : dans un contexte où la charge de travail va croissante et où le cadre budgétaire est contraint, il contribue à réduire la pression sur les agents grâce aux gains d’efficacité.